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24/04/2013 - Les enjeux de l’innovation responsable

Le 17 avril dernier, à l’occasion des Deauville Green Awards, Xavier Pavie est intervenu durant "Les Rendez-vous de l’ESSEC".

  

 En octobre dernier, au Centre Pompidou-Metz, Xavier Pavie, Directeur de l’Institute for Strategic Innovation & Services et professeur à l’ESSEC Business School, était intervenu à l’occasion d’un colloque « Innovation Responsable en Lorraine » dédié au développement responsable des entreprises.

 Ce mois-ci, c’est donc à Deauville que notre expert de l’innovation a partagé son point de vue. Son intervention a d’ailleurs fait l’objet d’une tribune dans Le Cercle Les Echos ! Découvrez son contenu ci-dessous ou en cliquant ici .

 Xavier Pavie participera à une autre conférence sur le même sujet les 16 et 17 mai à Forly en Italie. Cette conférence fait partie du projet Européen FaRInn .

 Lors des derniers Deauville Green Awards, à l’occasion d’une table ronde "Les Rendez-vous de l’ESSEC" autour de l’innovation-responsable nous avons repris la définition de ce concept issu de ce que l’on nomme communément le "développement durable", mais qui le dépasse et qui l’ancre dans les stratégies des entreprises, plus particulièrement dans les processus d’innovation.

 Pour comprendre l’innovation responsable, il faut avoir conscience que ses origines sont multiples. L’une d’elles est ce que l’on nomme le développement durable qui a été théorisé à partir 1987 par Gro Harlem Brundtland, premier ministre de Norvège de l’époque. Elle a posé le concept à travers 3 dimensions que sont le social, l’économie et l’environnement. Nous résumons toujours, voire un peu trop, le développement durable à l’aspect green, l’aspect environnement uniquement. Nous oublions que l’environnement peut fonctionner avec les deux autres composantes que sont le social et fondamentalement l’économie.

 À ce titre-là, la question de la définition même en anglais de sustainable est assez peu correcte en français, car nous la réduisons beaucoup trop à cette question de l’environnement. Il y a déjà une première réflexion à poser, qui est de dire lorsqu’on parle de green parle-t-on de développement durable ? Et quand on parle de développement durable, intégrons-nous bien les aspects sociaux-économiques ?

 Au-delà de cela, il faut aussi noter que Gro Harlem Brundtland à poser ces concepts à la fin des années 80, cela veut dire à une époque où il n’y avait pas encore le développement internet. Nous n’avions alors pas une connaissance parfaite par exemple du génome de la construction de l’ADN, ou du développement des nanotechnologies. Il n’y avait pas tous ces développements qui aujourd’hui sont constitutifs de notre quotidien. Dès lors lorsque vous analysez les entreprises au regard des différents critères de la définition de développement durable développée par Gro Harlem Brundtland, toutes sont relativement respectueuses des critères déterminés.

 Mais cela ne signifie en rien qu’elles sont véritablement responsables. Par exemple, vous pouvez prendre une entreprise de tabac, une entreprise pétrolière ou une entreprise d’armes à feu, qui passent l’ensemble des critères de Brundtland avec succès et qui arrivent à mettre dans leur rapport annuel qu’elles ont correctement répondu aux critères de Brundtland et donc qu’elles considèrent le "développement durable". Or l’innovation responsable souhaite intégrer ses critères, tout en faisant émerger 3 questions complémentaires :

 Questionner les besoins des individus

 Le marketing d’une façon générale a développé un certain nombre de techniques pour comprendre les besoins des individus et par la suite former des réponses grâce à l’innovation. Mais faut-il toujours répondre aux besoins ? Est-ce que c’est parce qu’il y a un besoin que nous devons y répondre ? Ainsi nous avons eu en dix ans, vingt générations d’Ipod Apple. Évidemment que nous avons besoin et envie d’avoir de la musique, mais est-ce que 20 générations se justifient ?

 Mesurer les impacts directs des innovations

 Ce sont les impacts directs des innovations auprès de leur utilisateur. Quand je suis utilisateur d’un smartphone,quelles vont être les conséquences directes des ondes émises sur notre cœur, nos organes lorsqu’on le met dans la poche, sur le cerveau… 

 Mesurer les impacts indirects

 On entend ici par impacts indirects, les impacts qui vont toucher la population autour de l‘innovation, mais pas forcément les utilisateurs directs. Par exemple cela est très compréhensible avec le tabagisme passif. On peut aussi prendre l’exemple des nanotechnologies. Il existe au Japon des chaussettes avec des nanotechnologies intégrées à l’intérieur qui lorsque vous les portez toute la journée sont agréables, confortables et absolument sans odeur… Le problème est qu’au premier lavage, l’ensemble des nanoparticules va se détacher et va finir dans les eaux usées. Les nanomatériaux sont des solides particulièrement résistants et ne se désagrègent pas et vont se retrouver dans les sous-sols, les mers et rivières, etc.

 Si les propositions de Brundtland sont déterminantes, elles ne suffisent plus de nos jours et ces trois critères supplémentaires qui déterminent l’innovation responsable paraissent indispensables pour l’innovateur d’aujourd’hui. Ce qui n’est pas sans difficulté, car cela fait émerger une problématique nouvelle en tant que dirigeant innovant : comment dois-je faire ? À quels endroits je dois faire attention à l’innovation pour qu’elle soit responsable ?

 Il est aujourd’hui indispensable d’interroger les processus d’innovation. Depuis l’idée du nouveau produit ou service jusqu’à son monitoring lorsque celui-ci est sur le marché, il est déterminant de suivre un certain nombre de critères, de phases, de filtres qui nous permettent autant que possible d’avoir une attitude responsable. Souvenons-nous que responsable, respondere en latin signifie "rendre compte de ses actes". L’innovateur doit rendre compte de ses actes pendant toute la phase d’élaboration de sa nouvelle idée jusqu’à ce qu’elle soit au contact des citoyens, et y compris pendant cette phase.

 Lorsque l’on sait que la production d’écrans tactiles nécessite l’utilisation de terres rares, quel sens cela a-t-il de vouloir déployer des iPhones, 1, 2, 3, 4, 5, etc. ? Sachant que tous sont pour la même population et les acheteurs du modèle 5 étaient en très large majorité déjà possesseur du modèle 3 ou 4. Doit-on parler encore d’innovation ou d’inondation ?

 Les services – et même les "gratuits" – ne sont pas moins concernés par cette responsabilité qui leur incombe. Prenez le réseau social Facebook, vous avez une concentration de données privées extrêmement importantes, qui peuvent concernées les opinions religieuses, les opinions politiques, les orientations sexuelles, etc. Vous avez tout un tas d’éléments qui sont extrêmement denses, importants, et vous avez tout cela dans une seule et même base de données d’environ un milliard d’individus. Que peut-on faire de ces données ? S’il y a des enjeux de commercialisation de ces data, ce ne sont pas les seuls. Il suffit de songer au rôle déterminant des bases de données d’IBM pendant la Seconde Guerre mondiale. Les fameuses fiches cartonnées où il était inscrit votre religion, votre situation maritale, éventuellement votre handicap, traitées par IBM ont favorisé dans certaines situations les déportations massives par le IIIe Reich.

 Ainsi, et pour conclure, le processus d’innovation "classique" des organisations doit être repensé à la lumière du rapport Brundtland, mais pas seulement. Y compris en intégrant les trois nouvelles questions que nous avons soulevées. Il devient indispensable de comprendre que si l’innovation est fondamentale pour la survie, elle doit aussi intégrer son impact sur la société, sur les citoyens, tout ce qui constitue son écosystème. Loin de faire valoir le principe de précaution qui pourrait nuire à la compétitivité dans un contexte mondialisé, c’est peut-être auprès du principe de responsabilité qu’il faut se tourner ainsi qu’il est défini par Hans Jonas : "Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la Permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre".